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ÂME BLANCHE

La souffrance se précisait alors et je comprenais que ce qui me faisait pleurer, c’était d’être séparée d’elle. Je lui gardais un souvenir ému et exalté, une passion rendue plus vive, plus profonde, plus ardente encore par l’hostilité sourde que ces gens manifestaient contre elle.

Avec le temps, Mlle Veydt finit par me marquer une espèce d’attachement et de la bonté ; même, je ne serais pas éloignée de croire qu’il entrât un peu de jalousie du grand amour que je montrais pour ma mère dans l’obstination que mettait la vieille fille à ne jamais m’en parler. On m’élevait dans l’idolâtrie de mon aïeul, dans le respect et l’admiration de mon père mort… ; de ma mère, il était bien rarement question ou si l’on s’en occupait, par exception, c’était avec acrimonie, pour lui infliger quelque blâme au sujet de telle ou telle très ancienne infraction aux goûts de ma famille paternelle. On supprima de mon éducation toute la poésie et toute la grâce qu’elle y avait mises ; les choses qu’on m’enseigna furent du domaine des choses utiles et non agréables : à huit ans, je savais parfaitement tricoter un bas ; mais on m’avait laissé oublier les éléments de musique que Mme Veydt jeune — cette musicienne exquise — s’était plu à m’inculquer quand j’étais toute petite. Même, les jolies toilettes, les ajustements coquets dont elle avait naguère composé ma garde-robe, avaient été bientôt mis au rancart.