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ÂME BLANCHE

Pourtant, je crois bien que plus d’une année pleine passa sur cet accident avant qu’elle quittât la maison ; il en est ainsi des souvenirs de la première enfance : ce sont les plus reculés qui se gravent le mieux dans notre esprit. À l’heure actuelle, quand je pense à la jeunesse de ma mère, c’est toujours comme cela qu’elle m’apparaît : très pâle, l’air inquiet, vêtue de rose. Certaines phrases de musique suffisent à évoquer pour moi son image et je ne peux sentir un parfum d’eau de Cologne légèrement acide sans que ces mots me reviennent à la mémoire, avec l’accent de Mme Veydt :

— Lina, ma petite, mon enfant…, tu me vois, n’est-ce pas, tu m’entends bien, tu n’as mal nulle part ?

Certes, j’ai d’autres souvenirs d’elle et ma notion de ce qu’elle fut en l’heureux temps où aucune maladie n’avait encore atteint son intelligence ne s’arrête pas à ce seul épisode : une fois, en rentrant de la promenade, elle m’apporta des livres, de beaux livres à vignettes violemment enluminées, où l’on rencontrait des chiens verts jappant aux trousses de messieurs en culottes bouffantes ; une autre fois, comme elle cousait et que le petit bruit de son aiguille, frappant le dé sans cesse, m’intriguait fort, elle me mit son dé au doigt, puis, m’invita à le cogner moi-même contre l’aiguille qu’elle tenait…, et, d’ouïr le même petit bruit me fit