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ÂME BLANCHE

quitté les bras de Véronique. Ma mère la prit très tranquillement, très froidement, sans que sa physionomie exprimât autre chose que cette grande douceur mise au fond de ses yeux par le Destin et qu’une habitude des traits y avait, j’imagine, laissée par hasard. Puis, de sa même marche droite, de son même pas rythmique et silencieux, elle s’éloigna, emportant ce jouet dans sa robe relevée où je vis que d’autres poupées se trouvaient déjà pêle-mêle.

Aucune parole n’était sortie de ses lèvres pâles, nul frisson n’avait animé ses joues, d’une blancheur de neige, et ses beaux yeux immobiles n’avaient pas eu plus de regard pour moi que n’en auraient pu avoir ceux d’une aveugle.

— Elle est toujours ainsi, expliqua le docteur Oppelt.

Machinalement, je répétai :

— Toujours, toujours ?… Et elle tient toujours ces poupées dans sa robe ? Et elle ne parle pas ?

— Non : depuis six ans, elle ne parle pas… Et elle tient toujours ces poupées dans sa robe.

Quelque chose d’affreux s’était passé en moi : la réalité, brusquement, déchirait le dernier voile de mes rêves illusoires, et, mieux qu’une scène de démence violente et furieuse, la simple apparition de cette femme en blanc, émaciée comme une ombre et à qui l’inconscience donnait une sérénité surhumaine, venait de me faire mesurer