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CHAPITRE IV.

ment perpendiculaires, des précipices qui surplombent ; il y a des glaciers ordinaires et des glaciers suspendus ; il y a des glaciers dont les grands séracs s’écroulent par-dessus des rochers plus grands encore, et dont les débris, en se consolidant, forment un nouveau glacier ; il y a des arêtes que la gelée a fendues, que la pluie et la neige fondue ont transformées peu à peu en tours et en aiguilles ; partout on y entend les bruits d’un travail incessant, constatant que les mêmes causes qui agissent depuis l’origine du monde continuent à agir et dégradent peu à peu la puissante masse qu’elles réduiront en atomes.

La plupart des touristes voient pour la première fois le Cervin de la vallée de Zermatt ou du Val Tournanche. De la vallée de Zermatt on découvre la base de la montagne sous son aspect le plus étroit ; ses faces et ses arêtes paraissent prodigieusement escarpées. Le touriste qui se fatigue à remonter la vallée cherche vainement de loin à l’horizon la belle vue qui doit le récompenser de ses peines, car le Cervin n’est visible qu’à un kilomètre et demi au nord de Zermatt. Mais tout à coup il lui apparaît au point où le sentier contourne un rocher. Qui se fût attendu à le voir où il se présente ? Il faut lever la tête pour le regarder, car il semble vous dominer. Malgré cette impression, le sommet du Cervin, vu de ce point, fait avec l’œil un angle de moins de 16°, tandis que le Dom, vu du même point, fait un angle plus large, mais n’attire pas l’attention. On doit donc n’avoir que peu de confiance dans le seul témoignage des yeux.

Du Breuil, dans le Val Tournanche, le Cervin offre un aspect aussi saisissant ; cependant l’impression n’est pas d’ordinaire aussi vive, parce que le spectateur s’y habitue peu à peu soit en montant soit en descendant la vallée. Dans cette direction, la montagne paraît formée d’une série de masses pyramidales, semblables à des coins gigantesques ; du côté de Zermatt au contraire, elle se fait remarquer par la vaste et uniforme étendue de ses parois à pic, et par la simplicité de ses contours. On pouvait donc naturellement supposer qu’on trouverait plus aisément un chemin pour atteindre le sommet du côté qui