Page:Whymper - Escalades dans les Alpes.djvu/86

Cette page a été validée par deux contributeurs.
78
ESCALADES DANS LES ALPES.

en vous précipitant du haut de leurs hauteurs imprenables. Telles étaient les traditions locales. Des esprits plus robustes subissaient l’influence de la forme merveilleuse du Cervin, et des hommes qui parlaient et écrivaient généralement comme des êtres raisonnables, semblaient, quand ils étaient soumis à cette influence mystérieuse, perdre leur bon sens, divaguaient comme à plaisir, et oubliaient momentanément toutes les formes ordinaires du langage. De Saussure lui-même, d’habitude si réservé, se sentit enthousiasmé à la vue de cette montagne, et, inspiré par ce spectacle, il devança les spéculations des géologues modernes, en exprimant les opinions remarquables placées en tête de ce chapitre.

Le Cervin offre un aspect également imposant de quelque côté qu’on le contemple ; il ne paraît jamais vulgaire ; à ce double point de vue, il est une exception presque unique parmi les montagnes. Sans rival dans les Alpes, il n’a qu’un petit nombre de rivaux dans le monde entier.

Le pic actuel, haut de 2000 ou 2500 mètres, a plusieurs arêtes bien marquées et beaucoup d’autres moins définies[1]. La plus continue est celle du nord-est, le sommet en est l’extrémité supérieure, et le petit pic appelé le Hörnli l’extrémité inférieure. Une autre arête très-prononcée descend du sommet jusqu’à celle qu’on appelle Furgen-Grat. La pente de la montagne comprise entre ces deux arêtes en forme la face orientale. Une troisième arête, un peu moins continue que les autres, descend dans la direction du sud-ouest, et la partie de la montagne que l’on découvre du Breuil se trouve limitée entre cette troisième arête et la seconde. Cette section ne forme pas une grande face comme la face orientale ; elle est interrompue par une série d’immenses précipices, tachetée de pentes de neige et sillonnée de couloirs de neige. L’autre moitié de la montagne, celle qui fait face au glacier de Z’mutt, ne saurait se contenter d’une définition aussi simple. Il y a de ce côté des précipices plus apparents que réels ; des précipices absolu-

  1. Voir la carte du Cervin et de ses glaciers.