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ESCALADES DANS LES ALPES.

rappelle ma première grimpade sérieuse avec plus de satisfaction et avec autant de plaisir qu’aucune de celles dont ce volume contient la relation.


Après m’être séparé de mes aimables compagnons, je montai par la gorge du Guil à Abriès où je fis la connaissance d’un joyeux Marseillais, qui parlait bien anglais. À part cet étranger et quelques belles truites des torrents voisins, j’avais peu de raisons pour prolonger mon séjour à Abriès. L’auberge de l’Étoile, chez Richard, est un endroit qu’il faut à tous égards soigneusement éviter. Quelques années plus tard je me vis forcé, à mon grand regret, de me réfugier dans ce bouge. Richard me demanda mon passe-port, sur lequel il aperçut les mots « John Russel ». Il mit aussitôt ce nom au lieu du mien dans le rapport qu’il adressait à la gendarmerie, en poussant une exclamation de joyeuse surprise. J’eus l’imprudence-de ne pas le détromper, mais je la payai cher : il me remit une note de lord, contre laquelle échouèrent toutes mes protestations.

Son erreur innocente et assez naturelle fut dépassée par celle d’un gendarme du Bourg-d’Oysans qui prit mon passe-port, le tint gravement le haut en bas pendant plusieurs minutes sous prétexte de le lire, puis me le rendit en me disant qu’il était bien en règle.

Tout autour d’Abriès le patois de la contrée offre un caractère plus ou moins italien, et la prononciation des indigènes rappelle celle d’un cockney[1] qui essaye de parler français pour la première fois. On prononce pain pané, et fromage, fromargi. Ce coin de la France possède un nombre considérable de dialectes différents, et parfois on en rencontre plusieurs dans un espace de quelques kilomètres qui sont tous aussi inintelligibles pour les étrangers que pour les paysans des districts environnants. Dans quelques endroits l’orthographe du patois est la même, mais la prononciation est différente ; on pourrait se

  1. Badaud de Londres.