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ESCALADES DANS LES ALPES.

tout dort encore dans la plaine ; le sentier est glissant, très-pénible même. La prudence et la persévérance finissent par remporter la victoire ; la montagne est escaladée ! et ceux qui le voient d’en bas s’écrient : « C’est incroyable ! c’est une action surhumaine ! »

Pour nous, habitués aux grimpades dans les montagnes, nous savons quelle supériorité donnent sur la force brutale la volonté d’atteindre un but bien déterminé et la persévérance. Nous savons que chaque pas accompli, chaque hauteur gravie ne peut l’être qu’au prix d’efforts patients et laborieux, et que le désir ne saurait remplacer l’action ; nous savons apprécier les bienfaits de l’assistance mutuelle ; bien des difficultés surgiront, bien des obstacles devront être tournés ou combattus ; mais pour nous, vouloir c’est pouvoir. Instruits à cette rude école, nous revenons à nos occupations journalières plus forts et mieux armés pour soutenir le combat de la vie, et pour surmonter les obstacles du chemin ; fortifiés et ranimés que nous sommes par le souvenir des tâches accomplies et des victoires remportées sur d’autres champs de bataille.

Je n’ai pas eu la prétention de me faire l’apologiste passionné des courses de montagnes et je ne veux pas m’ériger ici en moraliste ; cependant, je me serais fort mal acquitté de ma tâche si je l’achevais sans rappeler les bienfaits plus sérieux qu’on peut retirer de ces exercices virils. Nous sommes fiers de la régénération physique qu’ils produisent en nous ; nous nous extasions sur les scènes grandioses qui se déroulent à nos yeux, sur les splendeurs des levers et des couchers de soleil, sur les beautés incomparables des collines, des vallons, des lacs, des bois, des cascades : mais, ce que nous évaluons à un prix bien supérieur, c’est notre progrès comme homme, et, grâce à notre lutte incessante avec les difficultés, le développement de ces nobles qualités de notre nature, le courage, la patience, et la force d’âme.

Certaines personnes tiennent ces vertus en fort petite estime et attribuent même des motifs bas et méprisables à ceux qui s’adonnent aux exercices innocents des montagnes. Mais le poëte l’a dit :