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CHAPITRE XX.

ici. » — « Ha ! ha ! Carrel ! repris-je, voilà qui est désagréable. Si la journée de demain n’est pas belle, il nous sera impossible de rien faire ensemble. Comptant sur vous, j’ai renvoyé mes guides, et vous m’abandonnez pour accompagner une société de dames. Ce n’est pas là une occupation digne d’un guide comme vous (il sourit à ces mots, et je crus bonnement qu’il était flatté du compliment) ; ne pouvez-vous vous faire remplacer pour cette promenade ? » — « Non, monsieur ; j’en suis désolé, mais j’ai donné ma parole. J’aurais été très-content de vous accompagner, mais je ne puis pas rompre cet engagement. » Tout en causant, nous étions arrivés à la porte de l’auberge. « Allons, dis-je, ce n’est pas votre faute. Venez, ainsi que César, nous allons boire un verre de vin ensemble. » Tous deux acceptèrent, et, quand minuit sonna, nous causions encore dans l’auberge de Val Tournanche de nos anciennes aventures de voyage.

Le mauvais temps ayant continué pendant la journée du 10, je retournai au Breuil. Les deux Carrels flânaient de nouveau autour du chalet dont j’ai parlé plus haut, et je leur fis mes adieux. Le malade de Val Tournanche se traîna tout doucement jusqu’au Breuil ; il allait beaucoup mieux, mais ce fut la seule arrivée. La tempête qui régnait encore empêcha la foule du dimanche de traverser le col de Saint-Théodule[1]. L’auberge était donc très-solitaire. J’allai me coucher de bonne heure. Le lendemain matin, le malade me réveilla en me demandant si « je savais les nouvelles ? » — « Non ; quelles nouvelles ? » — « Comment, dit-il, vous l’ignorez ? Une grande troupe de guides est partie ce matin pour tenter l’ascension du Cervin, ils ont même emmené un mulet chargé de provisions. »

Je courus devant la porte, et, avec l’aide du télescope, je distinguai parfaitement l’expédition sur les pentes inférieures de la montagne. Favre, l’aubergiste, était à mon côté. — « Que signifie tout cela ? » lui demandai-je, « quel est le chef de ces guides ? » — « Carrel. » — « Comment ! Jean-Antoine ? » —

  1. Les touristes se réunissent d’ordinaire le dimanche à Zermatt, et le lundi ils passent en foule le col de Saint-Théodule.