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CHAPITRE XX.

tomba dans une crevasse où il s’enfonça jusqu’aux épaules ; je tirai aussitôt la corde, mais la neige céda sous moi et je n’eus que le temps d’étendre les bras pour m’arrêter dans ma chute. Biener tint bon ; toutefois, après l’incident, il nous raconta que son pied s’était aussi enfoncé, de sorte que, pendant un instant, nous nous étions trouvés tous trois dans le gouffre béant de la crevasse. Nous prîmes alors une autre direction, de manière à rencontrer transversalement ces maudites fissures ; puis, quand nous eûmes dépassé la partie centrale du glacier, nous changeâmes une seconde fois de route afin de gagner en droite ligne le sommet du col d’Ollen.

J’ai contracté l’habitude de me servir d’une corde pour traverser les glaciers recouverts de neige ; et je me suis expliqué à cet égard. Un certain nombre de guides, et des meilleurs, ne se soucient pas trop de s’attacher à la corde, surtout le matin de bonne heure, quand la neige est encore ferme. Ils regardent, en effet, la précaution comme inutile. Les ondulations de la surface d’un glacier dénoncent toujours, plus ou moins clairement, l’existence des crevasses. La neige s’affaissant à l’intérieur, les dépressions indiquent leur direction et en partie leur largeur. Un guide expérimenté sait découvrir ces plissements imperceptibles ; il les côtoie, soit sur un bord, soit sur l’autre, et il y tombe rarement. Certains guides, persuadés qu’ils ne seront jamais pris par surprise, refusent donc de se servir de la corde. Michel Croz était de cet avis. Les enfants ou les imbéciles seuls, disait-il, avaient besoin d’être attachés dans la matinée. Je lui dis qu’à cet égard j’étais un enfant par rapport à lui. « Vous savez distinguer ces crevasses cachées et les éviter, mon bon Croz ; moi je ne les vois pas, à moins que vous ne me les montriez, c’est pourquoi ce qui n’est pas un danger pour vous en est un pour moi. » Plus les yeux sont exercés à découvrir ces abîmes cachés, moins la corde est nécessaire pour les éviter ; mais, d’après mon expérience personnelle, si habile que l’on soit, on n’est jamais parfaitement sûr de ne pas se tromper. Aussi, pour le prouver, je raconte ce qui nous était arrivé sur le glacier d’Otemma.