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ESCALADES DANS LES ALPES.

sous une magnifique arche de glace, festonnée de stalactites brillantes, les ruines d’un ancien sérac, qui restaient debout et isolées, à une hauteur de plus de dix mètres au-dessus du glacier ! C’était un phénomène accidentel, le seul de ce genre que j’aie jamais rencontré. Je repassai au même endroit en 1865, sans en retrouver le moindre vestige.

Nous avions espéré descendre de très-bonne heure aux chalets de Pré-de-Bar ; mais, comme nous avions perdu beaucoup de temps sur les pentes du Mont-Rouge, il était près de quatre heures de l’après-midi lorsque nous y arrivâmes. Le pont le plus rapproché pour traverser le torrent était Gruetta. Ne voulant pas descendre aussi bas, nous préférâmes contourner la base du Mont-Rouge et traverser l’extrémité inférieure du glacier du Mont-Dolent[1].

La journée du 9 fut occupée par l’ascension du Mont-Dolent. C’était une miniature d’ascension. On y trouvait un peu de tout. Nous commençâmes par monter au col Ferret. À des pentes schisteuses succédèrent des pâturages ; puis une moraine, chose étrange, nous offrit un chemin très-agréable, et il nous fallut ensuite décrire de petits zigzags sur le glacier couvert de neige du Mont-Dolent. Au delà d’une petite bergschrund se présenta une petite muraille de neige, que nous escaladâmes sur le côté d’un petit contre-fort ; enfin, quand nous atteignîmes le chaînon qui descend du sommet vers le sud-est, nous trouvâmes une petite arête de neige qui nous conduisit au point le plus élevé. Le sommet lui-même était petit, tout petit ; c’était bien le plus gentil petit cône de neige qui se fût jamais formé au haut d’une montagne ; et cette neige était si blanche, si immaculée qu’il semblait crimi-

  1. Huit heures et demie de marche effective nous furent nécessaires pour passer le col de Triolet, du Couvercle à Pré-de-Bar. Il nous eût fallu beaucoup plus de temps pour faire le même trajet en sens inverse. Ce col ouvrait une route plus courte que toutes celles qui étaient alors connues entre Chamonix et le Saint-Bernard. Je ne saurais en conscience la recommander à qui que ce soit (V. le chap. XIX) ; moi-même, je ne désire nullement retourner sur la moraine gauche du glacier de Triolet ni sur les rochers du Mont-Rouge.