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ESCALADES DANS LES ALPES.

le suivre ; tantôt il abattait les angles trop saillants d’une arête jusqu’à ce qu’il eût trouvé un point d’où nous pussions sauter sur une autre arête ; puis, revenant sur ses pas, il découvrait un pont de neige qu’il traversait en rampant sur les mains et sur les genoux ; alors il nous le faisait traverser en nous remorquant par les jambes, se moquant de nos craintes, contrefaisant nos maladresses, refusant tout secours, et nous enjoignant seulement de le suivre.

Vers une heure de l’après-midi, nous sortîmes des nuages ; nous étions justement arrivés sur la partie plane du glacier, et Reynaud remarqua avec justesse que nous avions opéré notre descente aussi vite et aussi facilement que s’il n’y eût aucun brouillard. Alors on attaqua le précieux gigot que mon excellent ami avait en la prévoyance d’apporter, puis chacun reprit avec une nouvelle énergie sa course vers la Bérarde.

J’accompagnai Reynaud à Saint-Christophe, où nous nous séparâmes. Depuis lors nous nous sommes rappelé bien souvent l’un à l’autre les événements de ce jour mémorable ; et il serait bien fâché, j’en suis persuadé, de n’avoir pas traversé le fameux col de Pilatte, quoique nous ne l’eussions trouvé ni plus court ni plus facile que le col du Selé. Le même soir je rejoignis à Venosc Moore et Valker, et le lendemain nous suivîmes tous trois la route du Lautaret, pour aller coucher à l’hospice situé sur le col de ce passage.

Ainsi finit notre petite campagne du Dauphiné. Elle fut remarquable par la continuité de ses succès, par la facilité et par la précision avec laquelle tous nos plans s’exécutèrent. J’attribue en grande partie cette heureuse chance au bon esprit de mes compagnons ; mais le beau temps qui nous favorisa et notre excellente habitude de partir chaque jour de très-bonne heure y contribuèrent aussi. En commençant nos excursions dès l’aube, et même avant l’aube pendant les jours les plus longs de l’année, non seulement nous n’étions pas obligés de nous presser quand il nous fallait délibérer, mais nous pouvions encore, si la