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CHAPITRE X.

Pour ceux qui ne connaissent pas par expérience les qualités précieuses d’un couloir, rien n’a certes l’air moins commode et moins tentant que le passage représenté par notre gravure[1] ; si des touristes peu expérimentés se trouvaient obligés de traverser une arête ou d’escalader des rochers où se rencontreraient des couloirs semblables, ils les éviteraient instinctivement. Bien au contraire, les montagnards éprouvés les considéreraient comme un chemin naturel et s’empresseraient de les remonter, à moins qu’ils ne fussent remplis de glace ou balayés par des avalanches de pierres, ou bien encore à moins que les rochers voisins ne fussent, ce qui est rare, plus faciles à gravir que la neige.

Les couloirs ont l’air prodigieusement raides quand on les voit de face, et, en les étudiant ainsi, on peut se tromper de plusieurs degrés sur leur inclinaison. La neige se maintient à des angles beaucoup plus aigus dans les couloirs que dans toute autre situation ; une inclinaison de 45° à 50° n’est pas rare. Même à des angles aussi prononcés, deux hommes munis de haches solides peuvent gravir des pentes de neige avec une vitesse moyenne de 225 à 250 mètres par heure. On ne peut franchir la même distance dans le même espace de temps sur des rochers escarpés que s’ils ne présentent aucune difficulté, et, si les rochers étaient difficiles, il faudrait au moins quatre ou cinq heures. On peut donc recommander à tous les touristes les couloirs de neige parce qu’ils font gagner du temps.

Cependant dans tous les couloirs on est d’ordinaire exposé à des chutes de pierres. La plupart des pierres qui tombent des rochers d’un couloir glissent le long de la neige qui le remplit ; comme leur passage est beaucoup plus visible quand elles tombent sur la neige que quand elles rebondissent d’aspérités en aspérités sur les rochers, les touristes doués d’une imagination vive en sont bien plus fortement impressionnés. Les espèces de sillons que l’on remarque généralement tout le long des couloirs de neige sont creusés et même quelquefois produits par les

  1. Ce dessin a été compose pour illustrer les remarques qui l’accompagnent. Il ne représente aucun couloir particulier, mais il donne une idée exacte de celui que nous avons gravi pour monter au col de Pilatte.