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CHAPITRE X.

C’était un dimanche, « une journée éclatante et paisible. » Les rayons dorés du soleil avaient dispersé les nuages et illuminaient les hauteurs ; la magnificence de la matinée et la beauté des montagnes nous firent oublier notre faim.

Notre intention était de nous reposer pendant la journée du 26, mais nous ne trouvâmes pas le calme dont nous avions besoin dans le cabaret de Claude Giraud ; il nous fallut fuir cette Babel de bruit qui devenait de plus en plus insupportable à mesure que les hommes descendaient dans l’ivresse à un degré d’abaissement que les brutes ne sauraient atteindre. Les chalets d’Entraigues[1] nous offrirent heureusement la tranquillité que nous n’avions pu trouver à Vallouise.

Nous y reçûmes de nouveau la plus cordiale hospitalité. On nous y servit, en nous pressant de nous en régaler, tout ce qu’on put trouver de bon à boire et à manger ; toutes les petites curiosités furent satisfaites ; tous les renseignements demandés furent donnés ; enfin, quand nous nous retirâmes pour nous reposer sur notre paille fraîche et propre, nous nous félicitâmes mutuellement de nous être échappés de l’antre immonde ouvert à la place que devrait occuper une bonne auberge, et d’être venus demander l’hospitalité aux braves gens des chalets. Après deux nuits passées sur des cailloux de quartz et sur la boue des glaciers, cette paille nous parut délicieusement confortable. Croyant qu’on nous appelait pour partir, je me sentis donc peu satisfait quand, vers minuit, j’entendis craquer sur ses gonds la lourde porte de bois, et un individu tousser et s’agiter pour attirer l’at-

  1. Le chemin de Ville Vallouise à Entraigues est bon et bien ombragé par une luxuriante végétation. La vallée d’Entraigues est étroite, bordée par de beaux rochers et fermée à son extrémité occidentale par un superbe groupe de montagnes, qui paraissent beaucoup plus hautes qu’elles ne le sont en réalité. Le point le plus élevé (le Pic de Bonvoisin) a 3505 mètres d’altitude. On cultive à Entraigues (1610 mètres) des pommes de terre, (les pois et d’autres légumes, quoique les chalets soient privés de soleil et dans une situation assez froide.

    De la combe (ou vallon) de la Selle qui rejoint la vallée principale à Entraigues, on peut passer dans le Val Godemar par le petit col du Loup, qui est peu connu et qui se trouve immédiatement au sud du Pic de Bonvoisin. Deux autres passages, d’une hauteur considérable, conduisent de l’extrémité supérieure du vallon de la Selle dans les vallons de Champoléon et d’Argentière.