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CHAPITRE IX.

plusieurs fois les rochers s’étaient brusquement éboulés sous nos pieds.

Après un examen attentif, sans dire une parole, il tourna la tête de notre côté et nous regarda. Sa physionomie, qui aurait pu exprimer l’inquiétude et la crainte, ne témoignait ni joie ni espérance. Il n’était pas possible de descendre, et nous devions, s’il fallait absolument franchir cette brèche, sauter par-dessus pour retomber sur un bloc fort peu solide situé de l’autre côté. On décida de tenter l’aventure ; Almer allongea la corde qui le liait à nous et sauta ; le bloc vacilla au moment où il retomba dessus, mais il en étreignit un autre dans ses bras et s’y amarra solidement. Ce qui était difficile et dangereux dans ce passage pour le premier qui s’y risquait était assez facile pour les autres, et nous le franchîmes tous avec moins de peine que je ne l’avais craint, stimulés par cette observation parfaitement juste de Croz, que, si nous ne passions pas là, nous n’avions pas plus de chance de descendre par l’autre chemin.

Arrivés au point marqué C, nous ne pûmes plus continuer à suivre l’arête ; aussi, commençâmes-nous de nouveau à descendre sur la face même de la montagne. Bientôt nous nous approchâmes de la bergschrund, mais il nous était impossible de la voir parce que le bord supérieur surplombait. Depuis que nous avions quitté le sommet, deux heures s’étaient déjà écoulées, et, selon toute probabilité, il nous faudrait passer la nuit sur le glacier Blanc. Almer, toujours en tête, taillait en vain des pas au bord même de la bergschrund, il ne pouvait encore voir au-dessous de lui ; alors, nous avertissant de le tenir solidement, il raidit son corps tout entier, et, debout sur le large degré qu’il avait creusé dans ce but, il pencha sur l’abîme la partie supérieure de son corps jusqu’à ce qu’il eût vu ce qu’il voulait voir. Il nous cria alors que nous étions au bout de nos peines, me dit d’approcher du bord et de me détacher de la corde, fit avancer nos compagnons jusqu’à ce qu’il eût une longueur de corde suffisante, puis, avec un jödel retentissant, il s’élança sur la neige molle. Moitié adresse, moitié bonheur, il avait rencontré le point où la crevasse était le plus facile à franchir, et