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ESCALADES DANS LES ALPES.

24 au sommet du glacier de la Bonne-Pierre, et de tenter le 25 l’ascension du sommet des Écrins. Cette résolution prise, nous allâmes nous étendre sur des bottes de paille.

Le lendemain matin, maître Pic fit son apparition d’un air agréable et dégagé ; chacun sauta aussitôt sur sa brosse à dents, puis on chercha les cigares qui ne se firent remarquer que par leur absence. « Holà ! monsieur Pic, où sont nos cigares, s’il vous plaît ? — Messieurs, s’écria-t-il, vous voyez un homme au désespoir ! » Alors, d’un air bonasse, il se mit à nous débiter une kyrielle d’histoires sur une prétendue attaque dont il avait été victime au beau milieu de la route ; des brigands, des voleurs avaient pillé nos sacs pendant que lui, l’infortuné Pic, gisait sans connaissance sur la route ; quand il avait repris ses sens, les scélérats avaient disparu. « Ah ! monsieur Pic, nous devinons bien la vérité, c’est vous qui avez fumé nos cigares ! — Oh ! messieurs, je ne fume jamais, jamais ! » Informations prises en secret, nous apprîmes qu’il était un fumeur. Malgré tout, il affirma n’avoir jamais rien dit de plus vrai ; c’est bien possible, car il a la réputation d’être le plus grand menteur du Dauphiné.

Enfin nous pouvions partir ; nous nous mîmes donc en route à 1 heure 45 minutes de l’après-midi, pour aller bivouaquer sur le glacier de la Bonne-Pierre : Rodier nous accompagnait, courbé sous une énorme charge de couvertures. Il nous fallut gravir bien des pentes, franchir bien des torrents, décrits par M. Tuckett[1]. Cependant nous évitâmes les difficultés que les torrents lui avaient présentées, en les traversant beaucoup plus haut aux points de leur cours où ils sont divisés. Mais, quand nous atteignîmes la moraine du côté droit du glacier (ou, à proprement parler, l’une des moraines, car il y en a plusieurs), des brouillards, qui descendirent sur nous, nous causèrent quelques embarras. Il était 5 heures 30 minutes lorsque nous arrivâmes à l’endroit où nous nous proposions de camper.

Chacun se choisit son gîte pour la nuit, puis nous nous réunî-

  1. Alpine Journal, décembre 1863.