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CHAPITRE VIII.

justement à l’endroit où elle pouvait nous être utile ; grâce à elle, au lieu de gagner le glacier en exécutant des tours de force désespérés, nous passâmes des rochers sur la glace aussi facilement qu’un marin marche sur un passe-avant. À 6 heures et demie nous étions au centre du glacier. Les habitants de la Grave, sortis en masse sur la route, nous suivaient des yeux avec stupéfaction en constatant que leurs trop confiantes prédictions se trouvaient démenties. Ils pouvaient, en effet, ouvrir de grands yeux, car cette petite caravane, semblable de loin à une file de mouches montant sur un mur, grimpait de plus en plus haut sans aucune hésitation, sans aucune halte, disparaissant un instant quand elle s’enfonçait dans quelque crevasse, et reparaissant de l’autre côté. Plus nous nous élevions, plus l’ascension devenait facile. Les pentes diminuaient ; aussi accélérions-nous le pas. La neige n’avait pas encore reçu les rayons du soleil et nous y marchions aussi facilement que sur une grande route ; quand, à 7 heures 44 minutes, nous aperçûmes le sommet de la Brèche, nous nous y élançâmes avec furie comme sur une brèche ouverte dans la muraille d’une forteresse ; prenant notre élan, nous franchîmes d’un bond le fossé, nous escaladâmes par un dernier effort la pente raide qui le domine, et à 8 heures 50 minutes nous étions au sommet de la petite entaille ouverte dans la chaîne, à 3369 mètres d’altitude. La Brèche était conquise ! Les gens de la Grave avaient bien le droit d’être étonnés ; nous avions gravi 1700 mètres en cinq heures et un quart[1]. Nous poussâmes des cris de triomphe quand ils rentrèrent chez eux pour déjeuner.

  1. On monte généralement de 300 mètres par heure dans les grandes ascensions alpestres.