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CHAPITRE VIII.

agréables à voir ou à entendre, bien qu’à la lecture elles soient absolument incompréhensibles.

Pendant notre station au sommet de l’Aiguille de la Sausse, notre attention se concentra sur un point situé immédiatement vis-à-vis de nous, — sur une brèche ou entaille qui s’ouvrait entre la Meije et la montagne appelée le Rateau. Nous avions surtout tenu à faire l’ascension de cette Aiguille pour bien voir cette brèche de son sommet. Mes compagnons le remarquèrent comme moi, elle avait tout à fait l’aspect d’un véritable col. Jamais aucun être humain ne l’avait traversée, mais elle eût dû l’avoir été ; aussi, les gens du pays l’appelaient-ils très-justement : la Brèche de la Meije.

J’avais bien remarqué cette espèce de col en 1860 et en 1861, mais à cette époque l’idée d’y passer ne m’était pas venue ; nous ne la connaissions guère que par une reproduction photographique de la feuille 189 de la grande carte de France, feuille qui n’était pas publiée à cette époque, et que M. Tuckett avait, avec sa générosité ordinaire, mise à ma disposition. D’après cette carte, il était bien évident que, si nous réussissions à traverser la Brèche, nous aurions trouvé la route la plus directe entre le village de la Grave et celui de la Bérarde dans le département de l’Isère ; la distance entre ces deux villages serait ainsi d’un tiers moins longue que par la route ordinaire qui traverse les villages de Freney et de Venosc.

Quelques-uns de mes lecteurs pourront me demander pourquoi aucun touriste, ni même aucun habitant du pays n’avait déjà essayé de franchir cette brèche ? Par l’excellente raison que le versant méridional de la vallée (Vallon des Étançons) est inhabité, et que la Bérarde elle-même est un misérable village, sans intérêt, sans commerce et presque sans population. Pourquoi donc voulions-nous donc traverser ce fameux col ? Parce que nous nous proposions de faire l’ascension de la Pointe des Écrins, dont la Bérarde était l’endroit habité le plus rapproché.

Vue de l’Aiguille de la Sausse, la Brèche nous paraissait réunir les difficultés les plus formidables. Aussi désespérions-