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CHAPITRE VIII.

Norvége et ses Glaciers. L’autre col, qui s’ouvre au nord du premier, est rarement traversé par les touristes ; mais, comme il nous convenait mieux, nous nous mîmes en route pour y monter le matin du 22, après avoir passé dans le foin, à la Sausse, une nuit suffisamment confortable, mais sans faste ; du reste, la simplicité primitive de notre installation y fut plus que compensée par la bienveillance et l’hospitalité de nos hôtes[1].

[Nous voulions maintenant nous rendre à la Grave (situé sur la grande route de Briançon) en traversant les montagnes, et faire en chemin l’ascension de quelque point suffisamment élevé (pour nous offrir une belle vue sur les Alpes du Dauphiné en général et sur la grande chaîne de la Meije en particulier. Avant de quitter l’Angleterre, une étude approfondie de l’itinéraire de « Joanne » nous avait démontré que la route la plus courte de la Sausse à la Grave était le col de Martignare ; et qu’il était possible de faire, en partant de ce col, l’ascension d’une pointe élevée que l’auteur du guide appelle le Bec-de-Grenier et qui porte aussi le nom d’Aiguille de Goléon. Cependant, en étudiant la carte sarde, nous y trouvâmes marqués, à l’est du col de Martignare, non pas un seul pic portant ces deux noms, mais deux sommets distincts : l’un, situé juste au-

  1. En 1869, pendant que je m’étais arrêté à l’hospice sur le col du Lautaret, je fus accosté par un paysan entre deux âges, qui me demanda si je voulais bien lui faire l’honneur de monter dans sa voiture jusqu’à Briançon. Il parut très-curieux de savoir si je connaissais la contrée et finit par me demander « Êtes-vous allé à la Sausse ? » — « Oui. » — Eh bien alors, je puis vous dire que vous y avez vu quelques individus comme il y en a peu en ce monde. » — « Oui, répondis-je, ils sont certainement très-primitifs. » — Mais il parlait sérieusement et il continua en ces termes : « Oui, de très-braves gens ; » et, tapant sur son genou avec emphase, il ajouta : « et il n’en existe pas de pareils pour savoir soigner les vaches ! »

    Il devint alors plus communicatif. « Quand je vous ai offert de vous prendre dans ma voiture pour descendre avec moi la vallée, vous avez sans doute pensé que j’étais un pauvre diable, n’ayant pas un sou vaillant ; mais je vas vous dire… c’était ma montagne, ma montagne à moi !… que vous avez vue à la Sausse ; c’étaient mes vaches ! il y en a bien une centaine en tout. » — « Ainsi, vous êtes riche ? » — « Passablement riche. Je possède une autre montagne sur le col du Galibier, et une autre à Villeneuve. » Bien qu’à le juger sur son apparence extérieure on l’eût pris pour un paysan ordinaire, il m’avoua qu’il possédait une centaine de mille francs.