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ESCALADES DANS LES ALPES.

apparaître par petits groupes isolés (au même moment sur plusieurs points) ; ballottés, secoués, puis dispersés par le vent, ils se reformaient toujours et s’épaississaient de plus en plus, tantôt réunis, tantôt séparés, nous montrant tout à coup l’azur du ciel, qu’ils nous cachaient de nouveau presque aussitôt, augmentant sans cesse de nombre et d’étendue, jusqu’à ce que le ciel entier se trouva pour nous rempli de nuées agitées et tourbillonnantes. Avant d’avoir pu nous débarrasser de nos fardeaux et trouver un abri, un ouragan de neige venant de l’est fondit sur nous. La neige tombait si abondamment qu’en peu d’instants l’arête s’en trouva couverte. « Que faire ? » criai-je à Carrel. « Monsieur, répondit-il, le vent est très-mauvais, le temps est changé, nous sommes lourdement chargés. Nous avons ici un gîte excellent, restons-y ; si nous continuons à marcher, nous serons à moitié gelés. Voila mon avis. » Personne ne le contredit ; nous préparâmes le plus vite possible une place pour la tente, et nous achevâmes en deux heures la plate-forme commencée en 1862. Pendant ce temps, les nuages étaient devenus très-sombres et notre tâche était à peine terminée qu’une tempête effroyable se déchaîna sur nous avec fureur. De nombreux éclairs dessinèrent leurs bizarres zigzags sur les rochers escarpés qui nous dominaient et que nous dominions. Des dards de feu passaient si près de nous qu’ils semblaient nous roussir ; nous en étions plus émus que nous n’osions le dire, car nous nous trouvions au foyer même de l’orage. Le tonnerre et l’éclair étaient simultanés. Le bruit court et aigu de la foudre ressemblait à celui d’une porte qui eût été violemment fermée mille fois de suite.

Quand je dis que le tonnerre et l’éclair étaient simultanés, mon expression est inexacte. Je veux dire qu’il m’était impossible d’apprécier la durée qui s’écoulait entre la lueur et le son. Je tiens à être aussi précis que possible, et il y eut dans cet orage deux faits dont je puis parler avec quelque exactitude. Le premier se rapporte à la distance qui nous séparait de l’éclair. S’il s’était écoulé une seconde entre l’apparition de l’éclair et l’éclat du tonnerre, nous aurions dû en être éloignés de