Page:Whymper - Escalades dans les Alpes.djvu/180

Cette page a été validée par deux contributeurs.
172
ESCALADES DANS LES ALPES.

point de vue pittoresque. L’œil erre sur une multitude d’objets (dont chacun a peut-être sa grandeur individuelle), et, distrait par l’embarras des richesses qu’il découvre, il court de l’un à l’autre, effaçant, dans la contemplation de l’un, l’effet que l’autre a produit. Lorsque ces heureux moments, qui s’enfuient toujours avec une trop grande rapidité, sont passés, on quitte le sommet avec une impression rarement durable, parce qu’elle est d’ordinaire très-vague.

Les vues qui laissent des impressions profondes sont surtout celles que l’on ne fait qu’entrevoir, quand un voile de nuages, se déchirant brusquement, découvre une aiguille ou un dôme isolé. Les pics qu’on aperçoit alors ne sont peut-être ni les plus grands ni les plus majestueux ; mais leur souvenir survit dans la mémoire à bien des vues panoramiques, parce que ce tableau, photographié par l’œil, a le temps de sécher, au lieu d’être effacé, tandis qu’il est encore humide, par le contact d’autres impressions. Le contraire a lieu pour les vues panoramiques à vol d’oiseau que l’on découvre du haut des grands pics, et qui embrassent quelquefois une étendue de 125 kilomètres dans toutes les directions. La multitude des détails trouble le regard et le rend incapable de distinguer la valeur relative des objets qu’il aperçoit. Il est presque aussi difficile, sans instrument, d’apprécier avec justesse les hauteurs respectives d’un certain nombre de pics quand on les contemple d’une haute sommité, que si on les regarde du fond d’une vallée. Selon moi, les points les plus favorables pour jouir pleinement des grands paysages des montagnes sont ceux dont l’élévation permet d’éprouver l’impression de la profondeur et de la hauteur, et, tout en offrant des points de vue étendus et variés, n’abaisse pas tout ce qui l’entoure au niveau du spectateur trop haut placé. La vue du Grand Tournalin est un exemple excellent de ce modèle accompli de vue panoramique.

Nous descendîmes du sommet par la route du nord que nous trouvâmes passablement raide jusqu’au col ; du col au glacier, nous suivîmes une ligne droite et nous rejoignîmes le chemin que nous avions choisi pour la montée, au pied de la crête qui