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CHAPITRE V.

que nous avions eue de pouvoir nous passer de lui. Il était inutile de vouloir rivaliser avec le professeur Tyndall et ses quatre guides qui se tenaient prêts à partir dans quelques heures ; j’attendis donc pour voir quel serait le résultat de leur tentative.

Tout semblait la favoriser ; ils partirent frais et dispos par une belle matinée, me laissant dévoré par l’envie et m’abandonnant aux pensées les moins charitables. S’ils réussissaient, ils m’enlevaient le prix pour lequel j’avais prodigué tant d’efforts ; s’ils échouaient, je n’aurais pas le temps de faire une autre tentative, car je devais être de retour à Londres sous peu de jours. Quand ma situation ne me laissa plus aucun espoir, je résolus de quitter le Breuil à l’instant même ; mais, en faisant mon paquet, je m’aperçus que j’avais laissé dans la tente quelques objets indispensables. Je partis donc vers midi pour aller les chercher ; je rejoignis la petite troupe du professeur, car elle montait très-lentement, au moment où elle allait atteindre le col ; je l’y laissai (elle s’y arrêtait pour déjeuner) et je continuai à monter vers la tente. J’en étais déjà tout près, quand un bruit soudain se fit entendre au-dessus de moi ; levant les yeux, j’aperçus une grosse pierre de 30 centimètres cubes au moins qui dégringolait droit sur ma tête. Je me baissai brusquement et me tapis sous l’abri protecteur d’un aimable rocher, tandis que la pierre passait à côté avec un fracas étourdissant. C’était l’avant-garde d’une véritable tempête de pierres qui descendaient en faisant un vacarme infernal le long de la crête de l’arête, suivies d’une traînée de poussière dont la forte odeur de soufre trahissait assez l’origine. M. Tyndall et ses compagnons étaient sur le qui-vive, mais les pierres ne se dirigèrent pas de leur côté ; se heurtant contre les rochers, elles allèrent tomber sur le glacier.

J’attendis le professeur sous ma tente pour lui souhaiter la bienvenue, et, quand il fut arrivé, je redescendis au Breuil. Le lendemain matin, de très-bonne heure, on accourut pour m’apprendre qu’on voyait flotter un pavillon au sommet du Cervin. Il n’en était rien. Je constatai cependant que Tyndall et ses compagnons avaient dépassé le point d’où nous avions été obligés de rétrograder le 26. Je ne doutais plus maintenant de leur