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ESCALADES DANS LES ALPES.

côté sud de l’arête, celui du Breuil ; mais, à quelques mètres plus haut, il faut passer sur le côté nord (celui de Z’mutt), où la nature, plus bienveillante, offre, presque toujours, une pente de neige. Cet obstacle surmonté, on peut retourner de nouveau sur le tranchant de l’arête, et le suivre, par des rochers faciles à escalader, jusqu’au pied de la Grande Tour. C’était le point le plus élevé qu’eût atteint M. Hawkins, en 1860, et ce fut également celui auquel nous parvînmes le 9 juillet.

La Grande Tour est une des particularités les plus saisissantes de cette arête. Elle se dresse comme une tourelle à l’angle d’un château fort ; par derrière, un mur crénelé monte jusqu’à la citadelle[1]. Vue du col Saint-Théodule, elle a l’air d’un contre-fort insignifiant ; mais, lorsqu’on s’en approche en suivant l’arête, elle semble s’élever à mesure que l’on monte ; et quand on est à sa base, elle cache complétement la partie supérieure de la montagne. J’y trouvai une place très-convenable pour la tente. Moins bien abritée que la seconde plate-forme, elle avait l’avantage d’être à 90 mètres plus haut. Séduit par la beauté du temps, fasciné par l’aspect sauvage des rochers, je continuai à monter pour découvrir ce qu’il y avait derrière leurs parois escarpées.

Je rencontrai tout d’abord une grande difficulté : l’arête était devenue si étroite qu’on pouvait à peine s’y tenir en équilibre, et, à son point le plus resserré, un grand rocher à pic me barrait le passage. Je ne trouvai à la portée de ma main aucune aspérité qui me permit de m’y accrocher. Il me fallait donc sauter et me retenir par un vigoureux effort sur le tranchant aigu de l’arête. Monter ensuite directement était impossible. D’immenses précipices, d’une profondeur effrayante, descendaient sur la gauche jusqu’au glacier de Tiefenmatten, mais je pouvais à la rigueur tenter l’escalade du côté droit. Cependant les obstacles se succédaient sans interruption et je passai un temps considérable à chercher un passage. J’ai surtout gardé un

  1. V. la gravure « Rochers du Cervin » qui accompagne le chapitre VII.