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ESCALADES DANS LES ALPES.

de la Dent d’Hérens (4180 mètres) barrait alors la vue ; magnifique montagne incrustée sur son versant nord d’énormes glaciers suspendus, dont des tranches immenses se détachaient vers le milieu du jour et tombaient avec le fracas du tonnerre sur le glacier de Tiefenmatten. Enfin, la plus splendide de toutes ces montagnes, la Dent Blanche (4364 mètres), s’élançait dans les airs au-dessus du bassin du grand glacier de Z’mutt. Il est extrêmement rare de pouvoir contempler, tel que j’en jouis ce jour-là, sans qu’un nuage l’obscurcisse, cette admirable vue qui n’a peut-être pas d’égale dans les Alpes[1].

Le temps s’était écoulé sans que je m’en fusse aperçu, et les petits oiseaux qui avaient fait leurs nids sur les rochers environnants avaient commencé à gazouiller leur hymne du soir avant que j’eusse pensé au retour. Je revins presque machinalement vers la tente, que je déroulai et que je dressai. Elle contenait des provisions pour plusieurs jours, et je résolus d’y passer la nuit. J’avais quitté le Breuil sans rien emporter et sans même dire à Favre — l’aubergiste habitué à mes courses vagabondes — de quel côté je comptais me diriger. J’allai de nouveau contempler le panorama. Le soleil se couchait et la lumière rose de ses rayons, se mêlant aux tons bleuâtres de la neige,

  1. J’ai eu plusieurs fois l’occasion de mentionner les brusques changements de temps qui ont lieu dans les Alpes, à une altitude considérable, et j’en citerai de nouveaux exemples dans les chapitres suivants. Personne plus que moi ne regrette le temps variable qui règne sur cette chaîne de montagnes, d’ailleurs si magnifique, et l’obligation où je suis d’en parler à chaque instant. On dirait vraiment que leurs cimes ont à supporter plus que leur part légitime de vents et de tempêtes. Les troubles de l’atmosphère ne devraient pas être, on pourrait le croire, une des conditions nécessaires des régions élevées. Un calme presque continu favorise, dit-on, certaines contrées privilégiées. Telle est, par exemple, la Sierra Nevada de Californie, où se trouvent de nombreux sommets ayant une hauteur de 3950 à 4500 mètres.

    M. Whitney, de San Francisco, écrit dans son Guide de la vallée de Yosemite et de la région adjacente : « Pendant l’été, le temps est presque toujours aussi beau que possible pour voyager partout dans ces montagnes, aux plus grandes altitudes. Quelques tempêtes éclatent par moments sur les hautes montagnes, mais elles sont rares dans la saison des voyages, et ces temps si incertains, qui gâtent si souvent les plaisirs du voyage dans les Alpes, y sont presque inconnus. »

    Une étude plus complète de ces régions modifierait probablement cette opinion ; il est, en effet, fort difficile de juger l’état de l’atmosphère sur les som-