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l’île du docteur moreau

avec un frisson désagréable, au milieu du taillis, deux jambes bizarres, suivant à pas silencieux une direction parallèle à la mienne à trente mètres à peine de moi. La tête et le tronc étaient cachés par un fouillis de lianes. Je m’arrêtai brusquement, espérant que la créature ne m’aurait pas vu. Les jambes s’arrêtèrent aussitôt. J’avais les nerfs tellement irrités que je ne contins qu’avec la plus grande difficulté une impulsion subite de fuir à toute vitesse.

Je restai là un instant, le regard fixe et attentif, et je parvins à distinguer, dans l’entrelacement des branches, la tête et le corps de la brute que j’avais vue boire au ruisseau. Sa tête bougea. Quand son regard croisa le mien, il y eut dans ses yeux un éclat verdâtre, à demi lumineux, qui s’évanouit quand il eut remué de nouveau. Il resta immobile un instant, m’épiant dans la pénombre, puis, avec de silencieuses enjambées, il se mit à courir à travers la verdure des fourrés. L’instant d’après il avait disparu derrière les buissons. Je ne pouvais le voir, mais je sentais qu’il s’était arrêté et m’épiait encore.

Qui diable pouvait-il être ? Homme ou animal ? Que me voulait-il ? Je n’avais aucune arme, pas même un bâton : fuir eût été folie ; en tout cas, quel qu’il fût, il n’avait pas le courage de m’attaquer. Les