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fisamment versé dans l’histoire romaine et qui ne connaît pas, qui ne se met pas en disposition de ressentir pour un moment, avec toute son âpreté, la passion antiroyale très particulière qui persistait jusque sous le despotisme césarien dans l’âme du peuple romain, loin de s’intéresser à l’objet principal du drame, Titus et Bérénice aux prises avec les lois et la coutume de Rome, peut à peine le concevoir. Or, c’est dans cet état d’ignorance que se trouvent la plupart des spectateurs, surtout aujourd’hui.

Ils n’imaginent pas d’alliance plus assortie que celle d’un empereur et d’une reine ; selon leurs idées présentes, ce serait seulement le mariage d’un souverain avec une personne privée qui leur paraîtrait devoir exciter les scrupules d’une nation sensée et d’un sage Sénat. Entrez cependant, comme Racine vous y invite, dans le profond de son drame ; ne perdez pas de vue la répugnance des Romains, qui s’élève, empêchement insurmontable, contre le grand amour qu’éprouvent l’un pour l’autre le maître de Rome et l’étrangère, est-ce que vous pourrez dire, comme on le répète habituellement, qu’il n’y a pas de drame dans Bérénice, qu’il n’y a qu’une élégie ? Est-ce que vous oserez, comme l’a fait Voltaire, accuser « la stérile petitesse du sujet » ? Il y a, au contraire, un drame le plus douloureux,