Page:Weiss - À propos de théâtre, 1893.djvu/261

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

prend plusieurs fois le ton, et, bien qu’il y réussisse, il affaiblit l’effet tragique qui est le seul qu’il convienne de chercher. Racine, dès le premier acte, nous montre Bérénice, appelée et tout établie dans le palais de Titus ; Corneille la fait arriver d’Orient à Rome contre les ordres de l’empereur, tout exprès pour disputer à Domitie, épouse désignée de Titus, le cœur de son amant avec l’empire. Quelle infériorité déjà, par ce trait-là, pour un drame du cœur, de la Bérénice de Corneille à la Bérénice de Racine ! Si la Bérénice de Racine consent enfin à la séparation qu’impose la politique, c’est parce qu’elle s’est prouvé à elle-même qu’elle est toujours aimée. La Bérénice de Corneille, au contraire, ne renonce aux droits qu’elle prétend sur Titus qu’après que le Sénat et le peuple de Rome ont solennellement décidé de l’accepter pour impératrice ; elle a vaincu le préjugé romain ; sa fierté de reine et son orgueil d’étrangère sont satisfaits ; peu lui importe son amour.


Grâces au juste ciel, ma gloire en sûreté
N’a plus à redouter aucune indignité.
J’éprouve du Sénat l’amour et la justice
Et n’ai qu’à le vouloir pour être impératrice.


Elle n’a que le vouloir, et elle ne le veut plus. Elle aime cependant Titus, et du moment que cet amour est consacré par la volonté de Rome, du moment