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à Paris même. Roman ou histoire, peu importe du reste pour le point dont nous traitons. Ce qui n’est, en aucun cas, admissible, c’est l’opinion qui fait du Livre d’Esther un simple conte de harem. M. Deschanel se l’est approprié dans son ingénieux et intéressant Racine. Je n’y saurais souscrire. Il me semble que les Trois Sultanes de Marmontel, fiction née certainement à Paris, en plein xviiie siècle, présenteraient encore, beaucoup plus que le Livre d’Esther, le caractère d’un récit originaire des harems d’Orient.

Si le Livre d’Esther n’est qu’un roman, c’est « un roman national », comme dirait Erckmann-Chatrian. Le salut du peuple juif, en tant que Juif, en est le seul objet. Le « sage Mardochée » n’élève la séduisante Esther et ne l’introduit au harem de l’Achéménide qu’aux fins de l’intérêt national, de l’intérêt juif. Esther ne s’expose au courroux du grand roi qu’en vue du salut de sa nation asservie. Elle n’est pas, comme dans la tragédie de Racine, l’épouse innocente, soumise et aimante d’Assuérus ; elle est la Juive qui hait le harem du maître et de l’oppresseur ; jusque dans les Additions elle garde quelque chose de cette empreinte ; elle y dit crûment : Ego detestor cubile incirconcisorum et omnis alienigenœ. Elle exige d’Assuérus le massacre de tout ce qui hait les Juifs, et elle s’y reprend à deux fois. Israël