Page:Weiss - À propos de théâtre, 1893.djvu/158

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

J’avais seize ans. La seconde fois, ce fut en 1848, pendant la nuit du 23 au 24 février. On se battait ; j’étais un triste reclus dans la morne École normale. Nous nous tenions dans les combles de l’École, regardant au loin les lueurs de la ville et en aspirant le sourd mugissement. Bientôt le mugissement prit une forme, quelque chose à la fois de distinct et de vague ; c’était le faubourg Saint-Marceau qui descendait sur Paris ; cinq ou six mille voix chantaient à l’unisson la Marseillaise. Dans le silence agité de la nuit, l’hymne révolutionnaire se détachait lent, grave, tout rempli de solennelle vengeance. Le ciel, là-bas, s’étendait terne, il sembla soudain comme embrasé ; les notes de la Marseillaise, nous arrivant massées et rassérénées par la distance, nous figuraient une marche aux flambeaux de la Souveraineté et de la Justice. C’était beau ! Le frisson vint, le grand frisson qui, pendant une seconde qui est un infini, nous fait plus qu’homme. Voilà quelle a été ma deuxième communion pleine et absolue avec le sublime. J’ai attendu pendant plus d’un quart de siècle la troisième secousse. Je ne fais aucune difficulté de dire que je la dois à Thérésa jouant aux Variétés la Boulangère. Vous souvenez-vous comme elle entonnait le chant de révolte contre les gens de police


Nous sommes trois cents femmes !