Page:Weil et Chénin, Contes et récits du XIXe siècle - 1913.djvu/76

Cette page n’a pas encore été corrigée

à lui sourire depuis qu'il était loin d'eux et sans secours. Il fut réveillé par le soleil, dont les impitoyables rayons, tombant d'aplomb sur le granit, y produisaient une chaleur intolérable. Or le Provençal avait eu la maladresse de se placer en sens inverse de l'ombre projetée par les têtes verdoyantes et majes- tueuses des palmiers. Il regarda ces arbres solitaires, et tres- saillit Ils lui rappelèrent les fûts élégants et couronnés de longues feuilles qui distinguent les colonnes sarrasines de la cathédrale d'Arles. Mais, quand, après avoir compté les pal- miers, il jeta les yeux autour de lui, le plus. affreux désespoir fondit sur son âme. Il voyait un océan sans bornes. Les sables noirâtres du désert s'étendaient à perte de vue dans toutes les directions, et étincelaient comme une lame d'acier frappée par une vive lumière. Il ne savait pas si c'était une mer de glace ou des lacs unis comme un miroir. Emportée par lames, une vapeur de feu tourbillonnait au-dessus de cette mer mouvante. Le ciel avait un éclat oriental d'une pureté désespérante, car il ne laisse alors rien à désirer à l'imagination. Le ciel et la terre étaient en feu. Le silence effrayait par sa majesté sauvage et terrible. L'infini, l'immensité, pressaient l'âme de toutes parts pas un nuage au ciel, pas un souffle dans l'air, pas un accident au sein du sable agité par petites vagues menues; enfin, l'hori- zon finissait, comme en mer quand il fait beau, par une ligne de lumière aussi déliée que le tranchant d'un sabre. Le Provençal serra le tronc d'un des palmiers, comme si c'eût été le corps d'un ami, puis, à l'abri de l'ombre grêle et droite que l'arbre dessinait sur le granit, il pleura, s'assit et resta là, contemplant avec une tristesse profonde la scène implacable qui s'offrait à ses regards. Il cria comme pour tenter la soli- tude. Sa voix, perdue dans les cavités de l'éminence, rendit au loin un son maigre qui ne réveilla point d'écho l'écho était dans son coeur. Il descendit le revers opposé à celui par lequel il était monté, la veille, sur la colline. Sa joie fut grande en découvrant une espèce de grotte, naturellement taillée dans les immenses frag- ments de granit qui formaient la base de ce monticule. Les débris d'une natte annonçaient que cet asile avait été jadis habité. Puis, à quelques pas, il aperçut des palmiers chargés de dattes. Alors, l'instinct qui nous attache à la vie se réveilla dans son cœur. Il espéra vivre assez pour attendre le passage de quelques Maugrabins, ou peut-être entendrait-il bientôt le bruit des canons! car, en ce moment, Bonaparte parcourait l'Egypte. Ranimé par cette pensée, le Français abattit quelques régimes