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Elle pleura devant ces souliers; de cet œil enflammé et tari, une larme put jaillir encore. Comment pourrait-elle avoir des souliers pour Hanz, elle avait donné sa bague et sa maison? telle était la pensée qui la tourmentait. A force de rêver, il lui vint une idée. Dans la huche restait une miche tout entière, car, depuis longtemps, la malheureuse, nourrie par son chagrin, ne man- geait plus. 1 Elle fendit cette miche, se souvenant qu'autrefois, avec la mie; elle avait fait, pour amuser Hanz, des pigeons, des canards, des poules, des sabots, des barques et autres puérilités. Plaçant la mie dans le creux de sa main, et la pétrissant avec son pouce en l'humectant de ses larmes, elle fit une paire de petits souliers de pain dont elle chaussa les pieds froids et bleuâtres de l'enfant mort, et, le cœur soulagé, elle ra- battit le linceul et ferma la bière. Pendant qu'elle pétris- sait la mie, un pauvre s'était présenté sur le seuil, timide, demandant du pain mais de la main elle lui avait fait signe de. s'éloigner. Le fossoyeur vint prendre la boite, et 1 enfouit dans un coin du cimetière, sous une touffe de rosiers blancs l'air était doux, il ne pleuvait pas, et la terre n'était pas mouillée; ce fut une consolation pour la mère, qui pensa que son pauvre petit Hanz ne passerait pas trop mal sa première nuit de tombeau: Revendue dans sa maison solitaire, elle plaça le berceau de Hanz à côté de son lit, se coucha et s'endormit. La nature brisée succombait. En dormant, elle eut un rêve, ou du moins elle crut que c'était un rêve. Hanz lui apparut, vêtu, comme dans sa bière, de sa robe des dimanches, de la pelisse à fourrure de cygne, ayant à la main sa poupée aux yeux d'émail, et aux pieds ses souliers de pain. Il semblait triste. Il n'avait pas cette auréole que la mort doit donner aux petits innocents car si l'on met un enfant dans la terre, il en sort un angè. Les roses du Paradis ne fleurissaient pas sur ses joues pâles, fardées en blanc par la mort des larmes tombaient de ses cils blonds, et de gros soupirs gonflaient sa petite poitrine. La vision disparut, et la mère s'éveilla baignée de sueur, ravie d'avoir vu son fils, effrayée de l'avoir revu si triste; mais elle se rassura en se disènt « Pauvre Ranz! même en Paradis, il ne peut m'oublier. » La nuit suivante, l'apparition se renouvela Hanz était encore plus triste et plus pâle.