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se changer en carrosses dorés, comme on lui avait dit qu'elles faisaient dans les contes; et bien que cela n'arrivât jamais, il était persuadé que cela ne manquerait pas d'arriver, avec un peu de patience. Il cherchait un grillon pour en faire un cheval; il lui mettait.doucement sa baguette sur le dos, et disait une formule. L'insecte se sauvait; il lui barrait le chemin. Après quelques instants, il était couché à plat-ventre, près de lui, et il le regardait. Il avait oublié son rôle de magicien, et s'a- musait à retourner sur le dos la pauvre bête, en riant aux éclats de ses contorsions. Il inventait aussi d'attacher une vieille ficelle à son bâton magique, et il la jetait gravement dans le fleuve, attendant que le poisson vînt mordre. Il savait bien que les poissons n'ont pas coutume de manger une ficelle sans appât ni hameçon; mais il pensait que pour une fois, et pour lui, ils pourraient faire une exception à la règle; et il en vint, dans son inépuisable confiance, jusqu'à pêcher dans la rue avec un fouet, à travers la fente d'une plaque d'égout. Il retirait son fouet de temps en temps, très ému, s'imaginant que la corde était plus lourde cette fois, et qu'elle allait ramener un trésor, ainsi que dans une histoire que lui avait contée grand-père. Il fut rudement attrapé parfois, quand on le surprit ainsi. ROMAIN ROLLAND, Jean-Christophe (Ollendorff, édit.) . Le Collier de chien POUM AVAIT LES PLUS absurdes TICS. Gringalet, pâle, ressem- blant à une petite fille laide, il ne résistait pas au plaisir de dé- former, par d'ingénieuses et violentes contractions, la glaise molle de ses traits. Deux grimaces particulièrementlui étaient chères. Dans la première, ses yeux, comme mal à l'aise .en leurs orbites, se démenaient pour sortir des paupières à la façon des déménageurs, qui, une armoire à glace entre leurs bras, se bu- tent en tous sens à l'encadrement de la porte. La seconde gri- xnace tordait, en un mouvement giratoire, l'extrémitédu nez et la lèvre supérieur. Quand Poum était las d'exécuter ce mouve- ment sur la gauche, il le risquait sur la droite, mais c'était plus difficile à réussir. Le père de Poum et sa mère lé guettaient. On l'avait averti. Puisque objurgations, défenses et menaces ne parvenaient pas tics qui, pourchassés sur un point de sa personne, liques inventions, c'était bien vu, bien compris, bien-entendu, la première fois qu'il déclencherait sa tête, pas la seconde, ni