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Plein de zèle, je vole vers les poules qui rôdaient par les chaumes, becquetant les épis que le râteau avait laissés. Tout en les regardant, voici qu'une poulette huppée n'est-ce pas drôle '? se met à pourchasser, savez-vous quoi? une sauterelle, de celles qui ont les ailes rouges et bleues. Et toutes deux, avec moi après, qui voulais voir la sauterelle, de sauter à travers champs, si bien que nous arrivâmes au fossé du Puits à roue1 Et voilà encore les fleurs d'or qui se miraient dans le ruis- seau et qui réveillaient mon envie, mais une envie passionnée, délirante, excessive, à me faire oublier mes deux plongeons dans le fossé. «  Oh mais, cette fois, me dis-je, va, tu ne tomberas pas 1 » Et, descendant le talus, j'entortille à ma main un jonc qui croissait là; et, me penchant sur l'eau avec prudence, j'essaie encore d'atteindre de l'autre main les fleurs de glais. Ah malheur, le jonc se casse, et va te faire teindre i Au milieu du fossé je plonge la tête première. Je me dresse comme je puis, je crie comme un perdu, tous les gens de l'aire accourent. « C'est encore ce petit diable qui est tombé dans le fossé. Ta mère, cette fois, enragé polisson, va te fouailler d'impor- tance » Eh bien, non; dans le chemin, je la vis venir, pauvrette, tout en larmes et qui disait «  Mon Dieu, je ne veux pas le frapper, car il aurait peut-être un « accident! » Mais ce gars, sainte Vierge, n'est pas comme les autres il ne fait que courir pour ramasser des fleurs; il perd tous ses jouets en allant dans les blés chercher des bou- quets sauvages. Maintenant pour comble, il va se jeter trois fois, depuis peut-être une heure, dans le fossé du Puits à roue. Ah! tiens-toi, pauvre mère, morfonds-toi pour l'approprier. Qui lui en tiendrait, des robes? Et bienheureuseencore mon Dieu, je vous rends grâces qu'il ne soit pas noyé » Et ainsi, tous les deux, nous pleurions le long du fossé. Puis, une fois dans le Mas, m'ayant quitté mon vêtement, la sainte femme m'essuya, nu, de son tablier et, de peur d'un effroi, m'ayant fait- boire ensuite une cuillerée de vermifuge, elle me coucha dans ma berce (1), où, lassé de pleurer, au bout d'un peu je m'endormis. Et savez-vous ce que je songeai pardi 1 mes fleurs de glais. Dans un beau courant d'eau, qui serpentait autour du Mas lim- pide, transparent, azuré comme les eaux de la Fontaine de Vau- cluse, je voyais de belles touffes de grands et verts glaïeuls, qui étalaient dans l'air une féerie de fleurs d'or Des demoiselles d'eau venaient se poser sur elles avec leurs 1. JJerce: berceau.