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la plus admirable région de chasse que j'aie jamais vue, était tout le souci de mon cousin qui l'entretenait comme un parc. A travers l'immense peuple de roseaux qui le couvrait, le fai- sait vivant, bruissant, houleux, on avait tracé d'étroites avenues où les barques plates, conduites et dirigées avec des perches, passaient, muettes sur l'eau morte. J'arrivai le soir chez mon cousin. Il gelait à fendre les pierres. Pendant le dîner, dans la grande salle dont les buffets, les murs, le plafond étaient couverts d'oiseaux empaillés, aux ailes étendues, ou perchés sur des branches accrochéespar des clous éperviers, hérons, hiboux, engoulevents (1), buses, tiercelets (2), vautours, faucons, mon cousin, pareil lui-même à un étrange animal des pays froids, vêtu d'une jaquette en peau de phoque, me racontait les dispositions qu'il avait prises pour cette nuit même. Nous devions partir à trois heures et demie du matin, afin d'arriver vers quatre heures et demie au point choisipour notre affût. On avait construit à cet endroit une hutte avec des mor- ceaux de glace pour nous abriter un peu contre le vent terrible qui précède le jour, ce vent chargé de froid qui déchire la chair comme des scies, la coupe comme des lames, la pique comme des aiguillons empoisonnés, la tord comme des tenailles et la brûle comme du feu. Mon cousin se frottait.les mains. «Je n'ai jamais vu une gelée pareille, disait-il; nous avions déjà douze degrés sous zéro à six heures du soir. ».. J'allai me jeter sur mon lit aussitôt après le repas, et je m'en- dormis à la lueur d'une grande flamme flambant dans ma cheminée. A trois heures sonnantes on me réveilla. J'endossai à mon tour une peau de mouton, et je trouvai mon cousin Karl cou- vert d'une fourrure d'ours. Après avoir avalé chacun deux tasses de café brûlant suivies de deux verres de fine cham- pagne, nous partîmes, accompagnés d'un garde et de nos chiens: Plongeon et Pierrot. Nous allions côte à côte, Karl et moi, le dos courbé, les mains dans nos poches et le fusil sous le bras. Nos chaussures, enve- loppées de laine, afin de pouvoir marcher sans glisser sur la rivière gelée, ne faisaient aucun bruit; et je regardais la fumée blanche que faisait l'haleine de nos chiens. Nous fûmes bientôt au bord du marais, et nous nous enga- geâmes dans une des allées de roseaux secs qui s'avançait à travers cette forêt basse. l. JiHyoulwents ospôcii de passoroaux qui tiennent 'on volait leur bec largement ouvert. 2, Tiercelet mâle du faucon, Il,) l'éporvlcr (d'un tiers plus petit nue la femelle).