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Les Palombes JE ME SOUVIENS QUE, LORSQUE j'étais ENFANT, les chasseurs apportaient à la maison, vers l'automne, de belles et douces palombes (1) ensanglantées. On me donnait celles qui étaient encore vivantes, et j'en prenais soin. J'y mettais la même ardeur et les mêmes tendresses.qu'une mère pour ses enfants, et je réussissais à en guérir quelques-unes. A mesure qu'elles reprenaient la force, elles devenaient tristes et refusaient les fèves vertes que, pendant leur maladie, elles mangeaientavidement dans ma main. Dès qu'elles pouvaient étendre les ailes, elles s'agitaient dans la cage et se déchiraient aux barreaux, Elles seraient mortes de fatigue et de chagrin si je ne leur eusse donné la liberté. Aussi je m'étais habituée, quoique égoïste enfant s'il en fut, à sacrifier le plaisir de la possession au plaisir de la générosité. C'était un jour de vives émotions, de joie triomphante et de regret invincible, que celui où je portais une de mes palombes sur la fenêtre. Je lui donnais mille baisers. Je la priais de se souvenir de moi et de revenir manger les fèves tendres de mon jardin. Puis, j'ouvrais une main que je refermais aussitôt pour ressaisir mon amie. Je l'embrassais encore, le cœur gros et les yeux pleins de larmes. Enfin, après bien des hésitations et des efforts, je la posais sur la fenêtre. Elle restait quelque temps immobile, étonnée, effrayée presque de son bonheur. Puis, elle partait avec un petit cri de joie qui m'allait au cœur. Je la suivais longtemps des yeux; et quand elle avait disparu derrière les sorbiers du jardin, je me mettais à pleurer amère- ment, et j'en avais pour tout un jour a inquiéter ma mère par mon air abattu et souffrant. George SAND, Lettres d'un voyageur (Calmann-Lévy, édit.). Le Moineau JE REVENAISDE LA chasse et je marchais le long d'une allée de mon jardin. Mon chien courait devant moi. Tout à coup il raccourcit son pas et se mit à avancer avec précaution, comme s'il flairait du gibier devant lui. J:e regardai le long de l'allée, et je vis un jeune moineau, le jaune au bec, le duvet sur la tête. Il était tombé de son nid (le vent balançait avec force les bouleaux de l'allée), et se tenait tout 1. Palombes espèce de pigeons ramiers.