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demeurait debout, enchaîné devant son ennemi, et le regardant sans cesse, sans oser paître avant qu'il fut reparti. Mais toujours cette pensée restait plantée dans l'esprit du goujat « Pourquoi nourrir ce cheval qui ne faisait plus rien? » II lui semblait que cette misérable rosse volait le manger des autres, volait l'avoir des hommes, le bien du bon Dieu, le volait même aussi, lui, Zidore, qui travaillait. Alors, peu à peu, chaque jour, le gars diminua la bande de pâturage qu'il lui donnait, en avançant le piquet de bois où était fixée la corde. La bête jeûnait, maigrissait, dépérissait. Trop faible pour casser son attache, elle tendait la tête vers la grande herbe verte et luisante, si-proche, et dont l'odeur lui venait sans qu'elle pût y toucher. Mais, un matin, Zidore eut une idée; c'était de ne plus re- muer Coco. Il en avait assez d'aller si loin pour cette carcasse. Il vint, cependant, pour savourer sa vengeance. La bête, in- quiète, le regardait. Il ne la battit pas ce jour-lit Il tournait autour, les mains dans les poches. Même il fit mine de la chan- ger de place, mais il renfonça le piquet juste dans le même trou, et il s'en alla, enchanté de son invention. Le cheval, le voyant partir, hennit pour le rappeler; mais le goujat se mit à courir, le laissant seul, tout seul, dans son val- lon, bien attaché et sans un brin d'herbe a la portée de la mâ- choire. Affamé, il essaya d'atteindre la grasse verdure qu'il touchait du bout de ses naseaux. Il se mit sur les genoux, tendant le cou, allongeant ses grandes lèvres baveuses. Ce fut en vain. Tout le jour, elle s'épuisa, la vieille bête, en efforts inutiles, en efforts terribles^ La faim la dévorait, rendue plus affreuse par la vue de toute la verte nourriture qui s'étendait par.,l'horizon. Le goujat ne revint point ce jour-là. Il vagabonda par les bois pour chercher des nids. Il reparut le lendemain. Coco, exténué, s'était couché. Il se leva en apercevant l'enfant, attendant enfin d'être changé de place. Mais le petit paysan ne toucha même pas au maillet jeté dans l'herbe. Il s'approcha, regarda l'animal, lui lança dans le nez une motte de terre qui s'écrasa sur le poil blanc, et il repartit en sifflant. Le cheval resta debouttant qu'il put l'apercevoir encore puis, sentant bien que ses tentatives pour atteindre l'herbe voisine seraient inutiles, il s'étendit de nouveau sur le flanc et ferma les yeux. Le lendemain, Zidore ne vint pas. Quand il s'approcha, le jour suivant, de Coco toujours étendu, il s'aperçut qu'il était mort. Alors Il demeura debout, le regardant, content de son œuvre,