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«  C'est encore du Jardin des Plantes, dit-il. J'ai pris ça aux singes. » Et montrant à l'aîné la natte sur laquelle il était couché, natte fort épaisse et admirablementtravaillée, il ajouta « Ça, c'était à la girafe. » Après une pause, il poursuivit «  Les bêtes avaient tout ça. Je le leur ai pris. Ça ne les a pas fâchées. Je leur ai dit C'est pour l'éléphant. » Il fit encore un silence et reprit «  On passe par-dessus les murs, et on se fiche du gouverne- ment. V'là. » Les deux enfants considéraient avec un respect craintif et stupéfait cet être intrépide et inventif, vagabond comme eux, isolé comme eux, chétif comme eux, qui avait quelque chose d'admirable et de tout-puissant. Les deux enfants se serrèrent l'un contre l'autre. Gavroche acheva de les arranger sur la natte et leur monta la couverture jusqu'aux oreilles, puis répéta pour la troisième fois l'injonction en langue hiératique (1) «  Pioncez 1» Et il souffla le lumignon. A peine la lumière était-elle éteinte qu'un tremblement sin- gulier commença à ébranler le treillage sous lequel les trois enfants étaient couchés. C'était une multitude de frottements sourds qui rendaient un son métallique, comme si des griffes et des dents grinçaient sur le fil de cuivre. Cela était accompa- gné de toutes sortes de petits cris aigus. Le petit garçon de cinq ans, entendant ce vacarme au-dessus de sa tête et glacé d'épouvante, poussa du coude son frère aîné, mais le frère aîné « pionçait » déjà, comme Gavroche le lui avait ordonné. Alors le petit, n'en pouvant plus de peur, osa inter- peller Gavroche, mais tout bas, en retenant son haleine «  Monsieur ? Hein fit Gavroche qui venait de fermer les paupières. Qu'est-ce que c'est donc que ça C'est les rats », répondit Gavroche. Et il remit sa tête sur la natte. Les rats en effet, qui pullulaient par milliers dans la carcasse de l'éléphant et qui étaient ces taches noires vivantes dont nous avons parlé, avaient été tenus en respect par la flamme de la bougie tant qu'elle avait brillé, mais dès que cette caverne, qui était comme leur cité, avait été rendue à la nuit, sentant là ce que le bon conteur Perrault appelle « de la chair fraîche », ils l. En langue hiél'atique en langue sacrée, non oonnue du vulgaire il s'agit de l'argot.