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belles, car il est incapable de voir ou de montrer à autrui à quel point diffèrent en réalité l’essence du nécessaire et celle du bien.

Ne serait-ce pas là un étrange éducateur ? Eh bien, tel est exactement celui qui croit pouvoir regarder comme constituant la sagesse les aversions et les goûts d’une multitude assemblée d’éléments disparates, qu’il s’agisse de peinture, de musique ou de politique. Or si quelqu’un a commerce avec la multitude et lui communique une poésie ou toute autre œuvre d’art ou une conception politique, s’il prend la multitude comme maître en dehors du domaine des choses nécessaires, une nécessité d’airain lui fera faire ce que la multitude approuve[1]. »


Ce gros animal, qui est la bête sociale, est de toute évidence le même que la bête de l’Apocalypse.

Cette conception platonicienne de la société comme étant l’obstacle entre l’homme et Dieu, obstacle que Dieu seul peut franchir, peut être aussi rapprochée des paroles du diable au Christ dans Saint Luc.


« Il lui montra dans l’espace d’un instant tous les royaumes de la terre. Et le diable lui dit : Je te donnerai toute cette puissance et la gloire qui y est attachée. Car elle m’a été abandonnée, à moi et à quiconque il me plaît d’en faire part[2]. »


Entre parenthèses, une telle théorie de la société implique que la société est essentiellement mauvaise (en quoi Machiavel n’est qu’un disciple de Platon, comme presque tous les hommes de la Renaissance), et que la réforme ou la transformation de la société ne peut pas avoir d’autre objet raisonnable que de la rendre la moins mauvaise possible. C’est ce qu’avait compris Platon, et sa construction d’une cité idéale dans la République est purement symbolique. Contre-sens fréquent à ce sujet.

Mot de Richelieu. Machiavel. Marxisme autant

  1. République, VI, 493 a-d.
  2. Luc, iv, 5-6.