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chrétienne. Mort, Saint Paul. Nudité, Saint Jean de la Croix, Saint François.

Si la justice exige que durant cette vie on soit nu et mort, il est évident qu’elle est une chose impossible à la nature humaine, surnaturelle.

Ce qui empêche l’âme de s’assimiler à Dieu par la justice, c’est d’abord la chair, dont Platon dit après les Orphiques et les Pythagoriciens : « Le corps est le tombeau de l’âme[1]. »

Philolaos : « [Nous savons] par le témoignage des antiques théologiens et prophètes que c’est par l’effet d’un châtiment que l’âme est liée au corps et comme ensevelie dans ce tombeau[2]. »

De nombreux textes de Platon sur le péril de la chair.

Platon a repris aussi une autre image des Pythagoriciens comparant la partie sensible et charnelle de l’âme, siège du désir, à un tonneau qui chez les uns a un fond et chez les autres est percé. Chez ceux qui n’ont pas reçu la lumière le tonneau est percé, et ils sont continuellement occupés à y verser tout ce qu’ils peuvent sans jamais pouvoir le remplir[3].

Mais un obstacle plus grand que la chair est la société. Image terrible à ce sujet. Une idée de première importance dans Platon, qui court dans toutes ses œuvres, mais n’est explicitement exprimée que dans ce passage, pour des raisons que le passage lui-même expliquera. Jamais on n’y attache assez d’importance.


« Crois-tu comme le vulgaire qu’il y ait seulement quelques adolescents corrompus par les sophistes ? Crois-tu que cette corruption vaille la peine qu’on en parle, celle qu’accomplissent quelques sophistes, de simples particuliers ? Ceux qui en parlent, ce sont eux-mêmes les plus grands sophistes : ce sont eux qui font la totalité de l’éducation, eux qui modèlent selon leur désir hommes et femmes, jeunes et vieux. — Quand donc, dit-il ?

  1. Gorgias, 493 a ; Cratyle, 400 c.
  2. Diels, 5e éd. I, p. 414.
  3. Gorgias, 493 a-494 a.