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prendre à ceux qui ont souffert (ou : accorde le savoir).

J’aimerais presque autant mettre : ceux qui ont subi, au lieu de ceux qui ont souffert, pour bien marquer que ceux qui savent, ce sont ceux qui ont subi le malheur, non ceux qui se tourmentent à plaisir par pure perversité ou par romantisme. Ἐπιρρέπει indique que ceux qui ont souffert ont seuls en partage la possibilité de savoir, s’ils usent de cette possibilité ; cette formule ne veut pas dire, bien entendu, que la souffrance donne automatiquement la sagesse.

Par sa couleur même, ce passage révèle d’une manière évidente l’origine de son inspiration, à savoir les Mystères. Les deux divinités écartées ne sont certainement pas, comme l’affirme la note d’un mal heureux professeur à la Sorbonne, celles des généalogies hésiodiques ou orphiques ; mais de faux dieux antérieurs à une révélation, qui est probablement pour les Hellènes celle apportée par le contact avec les Pélasges, les Phéniciens et les Égyptiens. Ces lignes contiennent la méthode suffisante et infaillible de la perfection, à savoir garder la pensée tournée avec amour vers le véritable Dieu, celui qui n’a pas de nom. La « mémoire douloureuse » est la réminiscence de Platon, le souvenir de ce que l’âme a vu quand elle était de l’autre côté du ciel ; cette mémoire douloureuse qui se distille dans le sommeil, c’est la « nuit obscure » de saint Jean de la Croix.

Si on rapproche ces vers du Prométhée, la similitude de l’histoire de Prométhée avec celle du Christ devient d’une évidence aveuglante. Prométhée est l’instituteur des hommes, qui leur a tout appris. Ici on dit que c’est Zeus. C’est donc la même chose. Les deux ne font qu’un. C’est en crucifiant Prométhée que Zeus a ouvert aux hommes la route de la sagesse.

Dès lors la loi « par la souffrance la connaissance » peut être rapprochée de la pensée de saint Jean de la Croix, que la participation par la souffrance à la Croix du Christ permet seule de pénétrer dans les profondeurs de la sagesse divine.

D’autre part, si on rapproche les premiers vers