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Ce passage d’un chœur de l’Agamemnon d’Eschyle, qui est difficile comme grec et presque intraduisible, est intéressant comme étant un de ceux où se reflète évidemment la doctrine enseignée aux initiés des mystères, notamment celui d’Éleusis. Les tragédies d’Eschyle sont visiblement imprégnées de cette doctrine. Zeus semblait y être regardé comme étant le Dieu suprême — c’est-à-dire le seul Dieu — et comme étant par excellence le dieu de la mesure, et des châtiments qui punissent la démesure, l’excès et l’abus du pouvoir sous toutes leurs formes. Comprendre est présenté comme la fin suprême — comprendre, bien entendu, les rapports de l’homme et de l’univers, des hommes entre eux, de l’homme avec lui-même. D’après ce passage, la souffrance était regardée comme une condition indispensable pour une telle connaissance, et précieuse à ce titre, mais à ce titre seulement. Les Grecs n’ont jamais attaché de valeur à la souffrance en elle-même, comme font certains malades de notre époque. Le mot choisi pour désigner la souffrance est πάθος, qui évoque surtout l’idée de subir, plus encore que l’idée de douleur. L’homme doit subir ce qu’il ne veut pas, il doit se trouver soumis à la nécessité. Les malheurs laissent des plaies qui saignent goutte à goutte même pendant le sommeil ; et ainsi peu à peu ils dressent l’homme par violence et le disposent malgré lui à la sagesse, laquelle se définit par la modération. L’homme doit apprendre à se penser lui-même comme un être limité et dépendant ; seule la souffrance le lui apprend.

Τῷ πάθει μάθος est évidemment une formule consacrée chez les adeptes de la doctrine dont Eschyle se fait l’écho, et qui est sans doute l’orphisme. La ressemblance des deux mots — πάθος, μάθος — fait de cette formule une espèce de jeu de mots. Les milieux initiatiques grecs aimaient les formules de cette espèce ; ainsi le σῶμα σῆμα des Pythagoriciens (le corps est un tombeau). Plus loin, le même chœur dit : Δίκα δὲ τοῖς μὲν παθοῦσιν μαθεῖν ἐπιρρέπει, la justice fait échoir en partage (Δίκα = justice, ἐπιρρέπω = faire échoir) ou plutôt : la Justice accorde de com-