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Arrachés, tombent sous la pression du feu violent ;
Ainsi l’Atride Agamemnon faisait tomber les têtes
Des Troyens qui fuyaient


L’art de la guerre n’est que l’art de provoquer de telles transformations, et le matériel, les procédés, la mort même infligée à l’ennemi ne sont que des moyens à cet effet ; il a pour véritable objet l’âme même des combattants. Mais ces transformations constituent toujours un mystère, et les dieux en sont les auteurs, eux qui touchent l’imagination des hommes. Quoi qu’il en soit, cette double propriété de pétrification est essentielle à la force, et une âme placée au contact de la force n’y échappe que par une espèce de miracle. De tels miracles sont rares et courts.

La légèreté de ceux qui manient sans respect les hommes et les choses qu’ils ont ou croient avoir à leur merci, le désespoir qui contraint le soldat à détruire, l’écrasement de l’esclave et du vaincu, les massacres, tout contribue à faire un tableau uniforme d’horreur. La force en est le seul héros. Il en résulterait une morne monotonie, s’il n’y avait, parsemés çà et là, des moments lumineux ; moments brefs et divins où les hommes ont une âme. L’âme qui s’éveille ainsi, un instant, pour se perdre bientôt après par l’empire de la force, s’éveille pure et intacte ; il n’y apparaît aucun sentiment ambigu, compliqué ou trouble ; seuls le courage et l’amour y ont place. Parfois un homme trouve ainsi son âme en délibérant avec lui-même, quand il s’essaye, comme Hector devant Troie, sans secours des dieux ou des hommes, à faire tout seul face au destin. Les autres moments où les hommes trouvent leur âme sont ceux où ils aiment ; presque aucune forme pure de l’amour entre les hommes n’est absente de l’Iliade.

La tradition de l’hospitalité, même après plusieurs générations, l’emporte sur l’aveuglement du combat :


Ainsi je suis pour toi un hôte aimé au sein d’Argos
Évitons les lances l’un de l’autre, et même dans la mêlée.