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ment, mais de faire disparaître le malheur. Si un homme a soif à cause d’une blessure au ventre, il ne faut pas le faire boire, mais guérir la blessure.

Malheureusement, il n’y a guère que le destin des jeunes qui soit modifiable. Il faudra fournir un grand effort pour la formation de la jeunesse ouvrière, et d’abord pour l’apprentissage. L’État sera obligé d’en prendre la responsabilité, parce qu’aucun autre élément de la société n’en est capable.

Rien ne montre mieux la carence essentielle de la classe capitaliste que la négligence des patrons à l’égard de l’apprentissage. Elle est de l’espèce qu’on nomme en Russie négligence criminelle. On ne saurait trop insister là-dessus, trop répandre dans le public cette vérité simple, facile à saisir, incontestable. Les patrons, depuis vingt ou trente ans, ont oublié de songer à la formation de bons professionnels. Le manque d’ouvriers qualifiés a contribué autant que tout autre facteur à la perte du pays. Même en 1934 et 1935, au point le plus aigu de la crise de chômage, quand la production était au point mort, des usines de mécanique et d’aviation cherchaient de bons professionnels et n’en trouvaient pas. Les ouvriers se plaignaient que les essais étaient trop difficiles ; mais c’étaient eux qui n’avaient pas été formés de manière à pouvoir exécuter les essais. Comment, dans ces conditions, aurions-nous pu avoir un armement suffisant ? Mais d’ailleurs, même sans la guerre, le manque de professionnels, en s’aggravant avec les années, devait finir par rendre impossible la vie économique elle-même.

Il faut faire savoir une fois pour toutes à tout le pays et aux intéressés eux-mêmes que les patrons se sont montrés en fait incapables de soutenir les responsabilités que le système capitaliste fait peser sur eux. Ils ont une fonction à remplir, mais non celle-là, parce que l’expérience fait voir que celle-là est trop lourde et trop vaste pour eux. Une fois cela bien entendu, on n’aura plus peur d’eux, et eux de leur côté cesseront de s’opposer aux réformes nécessaires ; ils resteront dans les limites modestes de leur fonction naturelle. C’est leur seule chance de salut ; c’est parce qu’on a peur d’eux qu’on pense si souvent à se débarrasser d’eux.

Ils accusaient d’imprévoyance un ouvrier qui prenait un