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moindre trace de retour sur nous-mêmes, les anges doivent pleurer ou rire, s’il y a des anges qui s’intéressent à notre propagande.

Il paraît qu’aussitôt la Tripolitaine occupée, on y a arrêté l’enseignement fasciste de l’histoire. C’est fort bien. Mais il serait intéressant de savoir en quoi, pour l’antiquité, l’enseignement fasciste de l’histoire différait de celui de la République Française. La différence devait être faible, car la grande autorité de la France républicaine en matière d’histoire ancienne, M. Carcopino, prononçait à Rome des conférences sur la Rome antique et la Gaule qui étaient tout à fait propres à être prononcées en ce lieu et y étaient très bien accueillies.

Aujourd’hui, les Français de Londres ont quelques reproches à faire à M. Carcopino, mais ce n’est pas sur ses conceptions historiques. Un autre historien de la Sorbonne disait en janvier 1940 à quelqu’un qui avait écrit quelque chose d’assez dur sur les Romains : « Si l’Italie se met contre nous, vous aurez eu raison. » Comme critère de jugement historique, c’est insuffisant.

Les vaincus bénéficient souvent d’une sentimentalité parfois même injuste, mais seulement les vaincus provisoires. Le malheur est un immense prestige quand celui de la force s’y joint. Le malheur des faibles n’est même pas un objet d’attention ; si toutefois il n’est pas un objet de répulsion. Quand les chrétiens eurent acquis la conviction solide que le Christ, quoiqu’ayant été crucifié, était ensuite ressuscité et devait prochainement revenir dans la gloire pour récompenser les siens et punir tous les autres, aucun supplice ne les effraya plus. Mais auparavant, quand le Christ était seulement un être absolument pur, dès que le malheur le toucha il fut abandonné. Ceux qui l’aimaient le plus ne purent trouver dans leur cœur la force de courir des risques pour lui. Les supplices sont au-dessus du courage quand il n’y a pas pour les affronter le stimulant d’une revanche. La revanche n’a pas besoin d’être personnelle ; un Jésuite martyrisé en Chine est soutenu par la grandeur temporelle de l’Église, bien qu’il ne puisse en espérer lui-même aucun secours. Il n’y a pas ici-bas d’autre force que la force. Cela pourrait servir d’axiome. Quant à la force qui n’est pas d’ici-bas, le contact avec elle ne peut pas