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LA LEÇON MATERNELLE.

laissait gâter tout à son aise ses deux fils, qui redoublaient alors pour leur aïeule de dévouement et de caresses.

Cependant l’étrange ignorance des deux frères finit par être remarquée dans le monde, et les exposa à des humiliations qui blessèrent vivement l’amour-propre de leur mère. Cent fois, dans les réunions des enfants de leur âge, ils furent en butte aux plus mordantes plaisanteries sur leur défaut de première instruction et, comme ils n’étaient pas endurants, des plaisanteries on en venait aux gourmades, dont plus d’une fois ils rapportèrent les traces à la maison paternelle. Leur aïeule, altière et despote, criait alors à l’insulte, et prétendait qu’il fallait en tirer vengeance ; mais que faire à de jeunes étourdis qui n’avaient fait que donner aux fils du colonel la leçon qu’ils méritaient ? Lui-même en faisait l’aveu, et prétendait que Frédéric et Arthur devaient être privés de se mêler aux jeux de leurs petits camarades, tant qu’ils ne sauraient ni lire ni écrire.

Madame Darmincourt, dont le savoir égalait la raison, ne put de son côté supporter plus longtemps la pénible pensée de voir ses deux fils devenir, parmi les enfants de leur âge, l’objet de querelles fréquentes qui pouvaient avoir de fâcheux résultats. Elle conçut donc le projet, digne à la fois d’une tendre mère et d’une femme d’esprit, de forcer Arthur et Frédéric à se livrer d’eux-mêmes à l’étude, à connaître les préliminaires d’une instruction indispensable. Elle s’entendit, pour réussir dans cette entreprise, avec son mari, qui ne désirait pas moins qu’elle soustraire ses deux fils à l’aveugle tendresse de leur aïeule, et les mettre à même d’être admis aux institutions qui devaient les conduire à la position sociale où les appelait leur naissance.

La veille du jour où il devait rejoindre son régiment, au moment où Frédéric et Arthur venaient offrir à leurs parents le salut du matin, ils trouvèrent leur mère assise sur son