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humain ne suffiront pas à la synthèse. A son avis, une langue neuve est nécessaire, u Pour moi, dit M. Charles Morice, j’aime les mots vieillis à l’excès ; ceux qui sont comme des médailles sans relief, indistinctes et frustes… Le mieux est d’avoir unelangue « qui n’ait rien de commun presque avec la laugue usuelle des rues et des journaux ».

Dans une conférence donnée à Genève le 4 novembre 1892, M. Charles Morice a défini en ces termes le rôle de la poésie : « Bien loin que son rôle se réduise à quelque secondaire emploi de gracieuse inutilité, la poésie détient la principale force et la plus précieuse richesse de l’humanité moderne, i Pour M. Charles Morice, la poésie est, « par la beauté, l’expression humaine de la notion divine », idée analogue à celle exprimée par Shelley :

O terre heureuse, réalité de ciel !

LE SOIR

Voici le Soir qui vient dans la pourpre et l’or, ivre
D’amour. C’est l’heure fraîche où se reprend à vivre
Le peuple enfant, joyeux d’un avenir de nuit.

Et toute l’Ile, sur les rivages, au bruit
Du vivo1, des chansons, des rires assemblée,
S’agite, folle, bavarde, bariolée, —

Les femmes, le tiaré2 à l’oreille, les plis
Du paréo3 tendus sur leurs reins assouplis,
Le torse libre, aux tons de bronze et de bitume, —
Et la mourante ardeur du couchant se rallume
Aux brusques éclairs d’or qui sillonnent leur chair. —

Le vent de l’éternel été s’endort dans l’air
Vespéral. Le soleil, vieilli, vaincu, recule
Devant la jeune lune au bord du crépuscule,
Se dressant, radieuse, et leurs feux, un moment,
Sur la crête des flots qui dansent, mollement
S’entre-baisent, et sur la tète solitaire
De l’Aroraï, temple et sommet de la terre,

1. Vivo : instrument de musique des Maories, assez analogue au pipeau des anciens.

2. Tiaré : bandeau, coiffure.

3. Paréo : ceinture, unique vêtement.