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prix conscience de choses dont ceux qui l’entouraient n’avaient aucune idée, il parlait un langage que la plupart des hommes étaient incapables de saisir. Il était semblable à un dieu, emprisonné dans son propre mystère, mais à un dieu qui sentirait un incompréhensible désir de se manifester aux hommes. Et il souffrait : il aimait, il voulait communiquer à tous son amour : et tous passaient sans entendre, sans comprendre les paroles qu’il proférait, sans voir tout ce qu’il portait de lumière, sans ressentir tout ce qu’il émanait de beauté. La figure de « Lohengrin » incarne ces souffrances : Lohengrin aussi vient d’un monde plus élevé : il vient parmi les hommes dans l’espoir d’être aimé pour lui-même comme un homme, non adoré à cause de sa divinité. Mais toute son allure révèle le dieu, il trahit à chaque instant sa nature supérieure : l’étonnement et l’envie le suivent partout où il va et l’empêchent de trouver dans l’amour d’une femme toute la spontanéité, toute la simple confiance qu’il désirait. Il quitte, en proclamant son essence divine, le rivage d’où la foule regarde l’étranger se perdre dans l’éloignement de sa solitude.

Alors que, pour composer son Lohengrin, Wagner eût souhaité un isolement matériel en accord avec son isolement moral, il subissait journellement la contrainte d’une situation qui