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allant au Lido. La lutte entre le jour et la nuit était toujours un magnifique spectacle dans le ciel pur. À droite, au milieu de l’éther d’un rose sombre, brillait la fidèle clarté de l’étoile du soir ; la lune, en toute sa splendeur, lançait vers moi le réseau de ses étincelants rayons dans la mer. Je lui tournais le dos en revenant. Un peu au-dessus des Pléiades,[1] grave et claire, avec sa queue de lumière grandissante, la comète se présentait à mon regard errant dans la direction de ta demeure, d’où toi tu contemplais la lune. Pour moi la comète n’a plus rien d’effrayant ; d’ailleurs rien ne m’inspire plus aucune crainte, parce que je n’ai plus d’espoir, plus d’avenir. Même je ne pouvais m’empêcher de sourire de l’émoi populaire et je la choisissais pour mon étoile avec une certaine jactance orgueilleuse. Suis-je moi-même un tel météore ? Apportais-je le malheur ? — Était-ce ma faute ? — Je ne pouvais plus la quitter des yeux. Dans le calme et le silence, j’abordais à la Piazzetta, gaîment éclairée, perpétuellement traversée par une foule joyeuse. Puis, c’est la descente du mélancolique et grave Grand Canal : à gauche et à droite, de magnifiques palais ; silence absolu, rien que le doux glissement des gondoles, les coups de rames. De larges ombres lunaires.

  1. Wagner avait choisi comme « armes » les Pléiades. (Voir Glasenapp III, 1, 169 et 444.)
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