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manque péniblement : je ne connais aucun être, à qui je puisse me confier de meilleur cœur. Cela ne va pas du tout avec les hommes : malgré toute l’amitié possible, au fond il s’agit pour eux de ne rien abandonner de leur moi, de maintenir leur propre opinion, de se laisser le moins possible porter atteinte. C’est un fait : l’homme vit de lui-même. Mais quand je pense à tout le bien, à tout le beau, que vous avez fait jaillir de moi déjà, je ne puis qu’être heureux de ce que vous me l’ayiez inspiré sans le vouloir vous-même et que, néanmoins, ce fut toujours le meilleur qui était en moi que vous ayiez éveillé. Comme cela m’a fait plaisir de vous jouer dernièrement S. Bach ! Jamais il ne m’a procuré à moi-même de jouissance aussi grande ; jamais je ne me suis senti si proche de lui ! Mais cela ne se présente jamais à moi quand je suis seul. Lorsque je faisais de la musique avec Liszt, c’était toute autre chose : c’était faire de la musique, et alors la technique et l’art en somme jouent un grand rôle. Entre hommes il y a toujours quelque chose qui cloche. Si stupide que je vous aie paru la dernière fois à Lucerne, notre entrevue a produit les plus nobles fruits pour moi. Vous pouvez le vérifier maintenant, en voyant mon ardeur inlassable au travail. Et je ne vous en serais pas reconnaissant ? En vrai ami ! Ne vous étonnez pas de n’en avoir point si vite fini avec moi ! D’ailleurs le beau

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