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tranquille. Je suis dans les meilleurs termes avec la police ; à de très courts intervalles, il est vrai, mon passe-port me fut demandé par deux fois, — de sorte que je songeais déjà à un commencement de mesures policières, — mais bientôt on me le rendit fort cérémonieusement, avec l’assurance que rien ne s’opposait à mon séjour ici. Donc l’Autriche, décidément, m’accorde l’hospitalité, ce qui est toujours digne d’appréciation. —

Ce qui donne encore à ma vie intime un caractère spécial, presque de rêve, c’est qu’elle est tout à fait sans avenir. J’éprouve le même sentiment que Humboldt et son amie.[1] Quand, le soir, je vogue sur l’eau, regardant la mer calme et claire comme un miroir, qui, à l’horizon, se confond vraiment avec le ciel, quand les rougeurs du firmament ne font plus qu’un avec leur reflet dans l’eau, j’ai vraiment devant moi le tableau de ma vie actuelle : passé, présent, futur sont aussi peu distincts que, là-bas, la confusion de la mer et du ciel. Cependant des stries apparaissent ; ce sont les îles au ras de l’eau qui se profilent çà et là ; un mât de navire lointain s’érige à l’horizon ; l’étoile du soir brille, la clarté des astres rayonne, là-bas au ciel, ici dans la mer — que sont donc passé,

  1. Allusion aux « Lettres de Humboldt à une amie ». 1847. Voir plus haut : Journal. — 8 Décembre.
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