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rompre ma solitude. Des relations créées par un tel besoin, et se consolidant peu à peu, constituent précisément ce qui devient à la longue pour moi un supplice. Par contre, je ne pourrais nulle part mener une vie plus retirée qu’ici, car le spectacle intéressant, théâtralement captivant, qui se renouvelle chaque jour et maintient le contraste intact, ne fait naître aucun désir de jouer un rôle individuel dans cette scène ; je sens que je perdrais immédiatement le charme de tout ce qui se présente maintenant à mes yeux comme un spectacle purement objectif. Ainsi jusqu’à ce jour ma vie à Venise donne vraiment une fidèle image de mes rapports avec le monde, du moins tels que ceux-ci doivent être d’après mes vues et mes besoins résignés. Quels regrets n’ai-je pas, chaque fois que je m’en départis ! —

Lorsque le soir, place St Marc, où, les dimanches, une musique militaire se fait entendre, on joue des fragments de Tannhäuser et de Lohengrin, tout en m’indignant de la façon dont on traîne la mesure, je n’éprouve, en somme, aucune émotion. D’ailleurs on me connaît déjà partout ; notamment les officiers autrichiens me le témoignent souvent par des attentions d’une obligeance surprenante : cependant on sait que je veux mener une existence des plus retirées et, après m’avoir vu décliner conséquemment quelques visites, on me laisse

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